Quelle est la hauteur maximale potentielle d'un arbre géant?



A l’exception d’un membre du genre Eucalyptus (Eucalyptus regnans), trois des quatre espèces d’arbres se partageant les records de hauteurs (>= 100m) sont des conifères: Sequoia sempervirens (le séquoia à feuilles d’if, ou ‘redwood’), Pseudotsuga mensiezii ( le douglas) et Picea sitchensis (l’épicéa de Sitka).

Les études scientifiques, sommairement vulgarisées sur cette page, sont toutes deux centrées sur des conifères (gymnospermes). Des nuances devraient être prises en compte lors de l’étude des angiospermes.


En 2006, la sensationnelle découverte de Chris Atkins et Michael Taylor a placé la barre du record du monde de hauteur pour un arbre à plus de 115m de haut! Le séquoia sempervirens Hyperion et ses deux voisins Helios et Icarus prenaient d'un seul coup, à eux trois, les trois premières places de ce classement des arbres les plus hauts du monde. Hyperion détronait le Stratosphere Giant et ses 112m83, un autre séquoia sempervirens (ou redwood), ex-champion d'une course jusque là plutôt serrée (plusieurs redwoods ont été mesurés à 112m).

L'état de forme d'Hyperion et la taille des forêts restant à "ratisser" permettent de croire que ce record pourrait encore être battu dans les prochaines années.

Mais une question s'impose tout naturellement: la croissance des arbres a-t-elle une limite? Et celle-ci n'est elle pas atteinte dans le cas de ces grands redwoods?

A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, plusieurs douglas d'une hauteur supérieure à 120m ont été identifiés dans l'Etat de Washington ou dans la province canadienne de Colombie-Britannique (127m).  Ils ont malheureusement tous été abattus!1

Le même sort a été réservé aux eucalyptus regnans australiens, dont un sujet avait été crédité d'une hauteur de 132 mètres de haut2.

Si ces chiffres sont à prendre avec circonspection, ils permettent en tout cas d'envisager que nos séquoias sempervirens puissent encore grappiller quelques mètres, malgré leur âge avancé (avancé? Enfin, tout est relatif...).


Réponse(s) : entre 130 et 138 mètres!

Ce sont les conclusions de deux études universitaires américaines de 2004 et 2008.

Le chiffre de 138m qui fût publié en 2008 par l'université d'état de l'Oregon est basé sur l'étude de seize douglas de différentes tailles.

Le chiffre de 130m fût publié en 2004 dans une étude conjointe de l'Université d'état de Humboldt (Calif. - la seule université au monde à posséder une faculté entièrement dédiée aux arbres géants3) et de l'Université de l'Arizona du Nord. Celle-ci se concentrait sur les séquoias sempervirens (redwoods).

Les deux études arrivent en fait aux mêmes conclusions : la limite est celle de la hauteur maximale à laquelle l'arbre peut amener l'eau nécessaire au développement de son feuillage.

C'est que hisser de l'eau tout au long d'un tronc de plus de cent mètres de haut n'est pas une mince affaire! Comment cela marche? C'est ce que je vais essayer d'expliquer ici.


> A droite, les silhouettes d'un humain et d'un séquoia sempervirens de 112m de haut.

Silhouettes d'un séquoia sempervirens de 112m et d'un humain

L'eau est hissée dans le tronc par le phénomène de capillarité grâce au xylème présent dans le tronc, et plus précisément dans l'aubier. Il faut imaginer ce xylème comme un ensemble de tuyaux ultra fins.

Xylème de séquoia pétrifié en Oregon
Aperçu du xylème d'un ancien séquoia pétrifié en Oregon.

Pour expliquer l'ascension capillaire, prenons une paille que nous plongeons à moitié dans un seau d'eau. L'eau va monter dans la paille, malgré que la gravité soit la même dans la paille qu'à l'extérieur de celle-ci. Ceci s'explique par l'adhésion moléculaire: une molécule d'eau est naturellement attirée à adhérer à d'autres molécules, dites de type polaire, qu'elle va rencontrer (dans ce cas-ci, celles de la paroi de la paille, et dans le cas de l'arbre: celle du xylème).

Ce phénomène est bien sûr contrecarré par une force inverse: la gravité.  Sans d'autres conditions favorables, l'ascension serait assez limitée. 

Douglas géants en Colombie-Britannique (Canada) © Chris Siongers
Forêt de douglas géants en Colombie-Britannique
Douglas géant en Colombie-Britannique (Canada) © Chris Siongers
Douglas géant en Colombie-Britannique

Mais un second phénomène lui vient en appui : la cohésion moléculaire (deux gouttes d'eau proches vont naturellement s'attirer pour n'en former qu'une seule. Les molécules d'eau vont donc former une colonne ininterrompue depuis les racines jusqu'aux extrémités de l'arbre.  Cette colonne liquide aboutit dans le feuillage.  Là, une partie de l'eau s'évapore en surface des feuilles, créant un vide, et donc un appel d'eau vers la surface, appel propagé tout au long de la colonne d'eau. 

Mais vu la taille que peuvent atteindre les grands arbres, il leur fallait aussi se prémunir de la possibilité d'interruption de ce flux d'eau par l'apparition de poches d'air, apparition favorisée par la pression de plus en plus importante dans le tronc (gravité). Vous avez peut-être déjà pu constater ce phénomène lorsque vous videz un tuyau d'arrosage: des poches se forment entre les flux d'eau. Ce type d'accident est appelé embolie du xylème et est aussi dangereux pour l'arbre que ne l'est l'embolie pulmonaire pour l'homme.

Les arbres se sont donc adaptés. Les tuyaux du xylème se rétrécissent de plus en plus en fonction de la hauteur, et ce grâce à la taille des cellules qui les composent. Ces cellules, des trachéides dans le cas des conifères (gymnospermes) ont des parois poreuses qui permettent le passage de l'eau de l'une vers l'autre. 

Les scientifiques ont constaté que ces cellules se faisaient de plus en plus petites au fur et à mesure que l'on s'élève dans l'arbre.  A un point tel qu'à une certaine hauteur l'eau ne passe plus.   Un désèchement de la cime en résulte, que l'on peut fréquemment observer au sommet des arbres géants. 

Les snag tops du Sherman, pointes désèchées faute d'ascencion hydrolique
Le General Sherman, malgré sa vigueur toujours avérée, présente aussi ce phénomène de "snag top".


Le seuil de hauteur maximale d'un arbre se situe donc aux environs des 130 ou 138m selon les deux études.


NOTES

1 Le "Cary Fir", crédité à 127m de haut fût abattu en 1895 dans la Lynn Valley au nord de Vancouver. L'exactitude de la mesure est cependant contestée. Mais la présence à l'époque de douglas de plus de 120m est elle, confirmée. Lire à ce sujet : "Giant trees of Western America and the World" par Al Carder.

2 Le "Ferguson Tree" : un eucalyptus regnans a été mesuré à 132m6 dans la région de Victoria vers 1871. Cette mesure est aussi fréquemment mise en doute. Centurion, le plus grand eucalyptus actuel mesure 99m6 de haut et se trouve en Tasmanie.

3 Humbold State University : bien sûr l'université préférée de tout amateur de séquoias... et d'autres arbres géants. La galerie photo ci-jointe est tout simplement fantastique!


Find tree care advice Texte © Marc Meyer, Bruxelles, février 2012.
 
 
www.sequoias.eu